Résumé
"
Quand venait l'heure de nous coucher et de nous mettre en pyjama,
notre père restait près de nous et nous apprenait à disposer
nos vêtements dans l'ordre très exact du rhabillage.
Il
nous avertissait, nous savions que la cloche de la porte
extérieure nous réveillerait en plein sommeil et que nous
aurions à fuir, comme si la Gestapo surgissait. "Votre temps
sera chronométré", disait-il, nous ne prîmes pas très
longtemps la chose pour un jeu. C'était une cloche au timbre
puissant et clair, actionnée par une chaîne. Et soudain, cet
inoubliable carillon impérieux de l'aube, les allers-retours du
battant de la cloche sur ses parois marquant sans équivoque qu'on
ne sonnait pas dans l'attente polie d'une ouverture, niais pour
annoncer une brutale effraction.
Sursaut du réveil, l'un de
nous secouait notre petite sieur lourdement endormie, nous nous
vêtions dans le noir, à grande vitesse, avec des gestes de plus
en plus mécanisés au fil des progrès de l'entraînement,
dévalions les deux étages, sans un bruit et dans l'obscurité
totale, ouvrions comme par magie la porte de la cour et foncions
vers la lisière du jardin, écartions les branchages, les
remettions en place après nous être glissés l'un derrière
l'autre dans la protectrice anfractuosité, et attendions souffle
perdu, hors d'haleine.
Nous l'attendions, nous le guettions,
il était lent ou rapide, cela dépendait, il faisait semblant de
nous chercher et nous trouvait sans jamais faillir. A travers les
branchages, nous apercevions ses bottes de SS et nous entendions
sa voix angoissée de père juif : "Vous avez bougé, vous
avez fait du bruit. - Non, Papa, c'est une branche qui a craqué.
- Vous avez parlé, je vous ai entendus, ils vous auraient
découverts." Cela continuait jusqu'à ce qu'il nous dise de
sortir.
Il ne jouait pas. Il jouait les SS et leurs chiens.
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